5Le mot « érudit » fait parfois surgir l’idée d’une connaissance universelle à la manière de Léonard de Vinci ou du Pic de la Mirandole que l’on a dit être le dernier à tout savoir, image exagérée bien sûr. L’on sait aujourd’hui que la connaissance de tout ce qui serait à apprendre est impossible. Est-ce qu’on peut cependant être érudit en quelque chose ? C’est un débat sémantique. Si on dit qu’une personne est érudite, cela signifie simplement qu’elle sait beaucoup de choses et qu’elle a accompli plusieurs fois cette spirale de l’apprentissage, dans un domaine précis. Aussi dirait-on mieux que c’est un érudit « en » quelque chose : en histoire ou en biologie. Vous voyez, il y a ce paradoxe dans la question sur l’érudition : est-ce qu’on peut encore dire aujourd’hui de manière absolue qu’on est érudit ? On est obligé de préciser que l’on est éventuellement érudit « en » quelque chose, et en l’assortissant d’une grande modestie. Érudit en toutes choses, ce n’est plus possible.
Erudit : Vous êtes le fondateur des Journées des dictionnaires. Cette initiative se poursuit depuis plus d’un quart de siècle et entend partager le savoir des spécialistes sur cet objet. En quoi cela a-t-il servi votre parcours d’érudition ?
Erudit : Si tant est qu’on puisse évoquer un peu d’érudition me concernant, je pense que l’érudit est la personne qui met en relation des spécialistes d’un sujet, qui en connaissent mieux telle ou telle facette. Si on s’intéresse aux dictionnaires par exemple, un des aspects y correspondant est la phonétique. À moi alors de savoir que c’est le professeur Christophe Rey qui en est un spécialiste notamment pour le xviiie siècle. Et si, toujours en matière de dictionnaire, j’ai besoin d’informations sur les noms propres, la patronymie ou la toponymie, eh bien là je n’hésite pas, je connais un professeur de lycée autodidacte merveilleux et reconnu en la matière, ce sera Ange Bizet. S’il s’agit de quelque chose qui concerne la langue et l’Europe centrale, je n’hésite pas davantage, je connais Joanna Nowicki. Elle est véritablement le relais qui saura infiniment mieux que moi les enjeux savants sur le sujet. À la limite, ces Journées des dictionnaires, de même que toutes mes chroniques de langue, me poussent à relier force satellites, à mettre en perspective tout un système planétaire en somme. Certes, je sais un peu de tout sur le sujet, dans le cadre d’une érudition de « généraliste » à propos des dictionnaires et des mots, je ne suis plus en effet innocent sur le sujet, mais je sais surtout quelles sont les planètes autour de moi qui peuvent m’éclairer. Et c’est sans fin, je constate que j’ajoute toujours des planètes. Dernièrement, je découvrais que Sandrine Campese travaillait sur les aptonymes, ces patronymes qui de manière amusante sont en analogie avec votre métier : M. Robinet, plombier, par exemple. Cela paraît ludique jusqu’au moment où un autre livre, un autre satellite, offre statistiquement de nombreux exemples sur l’influence qu’aurait le patronyme sur les choix de métier… En matière de recherche et donc d’érudition, rien n’est loufoque, tout s’étudie.
Erudit : Mon érudition se limite à cela : savoir quelles sont les ressources auxquelles faire appel. Quand on est professeur d’université, on trouve notamment de nouveaux satellites en suivant des thèses. L’érudition est une famille qui s’agrandit sans cesse. Je me souviendrai toujours d’une réaction de Bernard Quemada à mon encontre. Sous sa direction, ma thèse portait sur les dictionnaires analogiques, ce qui, il est vrai, pouvait interagir avec la pédagogie. Un jour où je me trouvais à ses côtés, un professeur lui pose une question sur les dictionnaires et l’enseignement. Et Bernard Quemada de lui répondre : « Ah là, ce n’est pas moi le spécialiste, c’est Pruvost ». Je tombais des nues mais j’ai compris à cet instant que le véritable érudit est bien celui qui sait créer des traits d’union. C’est savoir qu’untel ou untel peut mieux répondre que soi-même. Et je ressens aujourd’hui combien il est impossible de « tout savoir » sur les dictionnaires mais je saurais sans doute signaler quelqu’un susceptible de donner une réponse intéressante et meilleure que la mienne sur tel ou tel sujet. C’est là où l’image de l’érudit seul sur sa montagne n’a pas de sens. L’érudit est au milieu d’une foule de personnes qui elles-mêmes savent des choses. Peut-être que l’érudit c’est celui qui sait le mieux ce que les autres peuvent apporter.
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